D'avril 1989 à octobre 1995, le Centre d'Études Grégoriennes de Metz publiait un petit bulletin de quatre pages, à raison d'un numéro par trimestre, avec l'actualité de l'association et de la Scola Metensis, mais aussi des entretiens, des recensions de livres ou d'expositions et des articles de fond sur la musique, les arts et l'histoire du Moyen Âge.
Quilisma cessa de paraître après quelques années, faute de moyens humains et financiers. Puis il y eut la publication d'un ouvrage collectif, L'Art du chantre carolingien, et bien des articles dans des revues spécialisées.
Depuis plusieurs saisons, nous cherchons comment informer autrement : parmi nos activités, telle mise au point historique, tel coup de cœur artistique, tel succès dans le chant méritent, nous semble-t-il, qu'on en fasse rumeur ailleurs que sur une page de ces réseaux sociaux en vogue auxquels la Scola Metensis a fini par sacrifier.
Bienvenue donc en ce lieu qui n'existera, chers lecteurs, que parce que vous le visiterez. Il nous permettra de nous entretenir. Le CEGM et la Scola Metensis n'existent eux-mêmes que pris dans un réseau d'amitiés, de curiosités, de questionnements : puisse ce blog stimuler ces échanges et susciter une communication nouvelle.
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S'il est un ouvrage emblématique qui nous accompagne depuis bientôt quarante ans - un bel anniversaire se profile - à travers les concerts, conférences, concerts-diaporamas et autres publications, c'est bien le Sacramentaire de Drogon, (Paris, BnF, ms lat 9428), manuscrit réalisé à Metz vers 845.
Fils naturel de Charlemagne, Drogon fut un digne successeur de Chrodegang sur le siège épiscopal de Metz de 823 à 855. Placé par le pape d'alors à la tête des Églises des Gaules et des Germanies, il méritait bien qu'on lui destinât ce somptueux manuscrit, chef-d'œuvre de l'enluminure carolingienne.
On nomme sacramentaire le livre du principal acteur de la liturgie : le célébrant. C'est qu'il contient ses paroles les plus sacrées : celles de la consécration du pain et du vin, immuables jusqu'en 1960, fixées au IXe siècle dans l'unique canon romain.
Il contient aussi les prières qui varient tout au long du circulum anni : la première oraison, la collecte – qui donne le thème de la fête du jour, la prière sur les offrandes, la préface – prologue du Sanctus, la prière de la communion.
Enfin le sacramentaire recueille les formules prononcées pour diverses cérémonies et sacrements : ordination des diacres et des prêtres, baptême, confirmation, dédicace d'une église...
Le luxe du Sacramentaire de Drogon est exceptionnel : il doit ses ivoires, ses ors et l'abondance de ses scènes peintes à la lignée impériale et à l'excellence d'un prélat lettré qui donna à Metz une vive impulsion aux arts.
Mais le manuscrit est avant tout fonctionnel. Les illustrations marquent les articulations de l'année liturgique et en présentent visuellement le thème. Elles ne sont pas un ajout hors du texte ; elles en sont partie prenante, puisqu'elles décorent la première majuscule d'une collecte de grande fête ou comme au verso du folio 14, le grand V du début de la préface, écrite en onciales d'or : Vere dignum et justum est.
Dans le montant gauche de l'initiale, le pontife procède à la consécration des saintes espèces. Un petit pain et un calice sont posés sur l'autel. Une couronne votive est suspendue au ciborium (baldaquin) dont les rideaux sont ouverts.
De l'autre côté, comme une superposition ou une équivalence, l'Agneau mystique, ou l'Agnus Dei, portant le nimbe cruciforme, se tient sous un portique surmonté d'une croix, dont les rideaux sont également ouverts.
L'originalité la plus grande du Sacramentaire de Drogon est qu'il donne à voir les gestes de l'évêque et les cérémonies qu'il préside. Dans les plaques d'ivoire de la reliure surtout, mais aussi dans les ornementations du V des autres préfaces.
Ainsi au folio 46v, l'évêque Drogon revêtu du pallium bénit devant l'autel les saintes huiles que lui présente un clerc. On peut voir à droite, tenu par un autre clerc, le sacramentaire dans le Sacramentaire. À gauche, deux clercs regardent derrière eux comme s'ils attendaient l'arrivée de compagnons en retard.
Au verso du folio 51, l'intérieur du V montre deux scènes liturgiques.
À gauche, assisté de ses clercs, Drogon bénit les fonts baptismaux.
Remarquez la colombe symbolisant l'Esprit saint, représentée trois fois dans le montant de la majuscule.
À droite, l'évêque donne le baptême par immersion.
Remarquez aussi la cuve baptismale trilobée que l'on retrouve sur les plaquettes en ivoire sculpté de la reliure du Sacramentaire.
Seuls deux V enluminés ne décrivent pas de scène liturgique.
Au verso du folio 10, des rinceaux qui entourent les montants de l'initiale sortent les symboles des quatre évangélistes : l'aigle et le lion, le taureau et l'ange.
Au folio 59v, l'initiale E, de couleur verte au centre du V, peine à émerger de la profusion dorée des rinceaux, tout comme l'Agneau mystique juché sur une petite croix.
Le Sacramentaire de Drogon est aussi un livre de chant. Toutes les prières, dont certaines écrites dans un beau latin cadencé par saint Grégoire le Grand († 604), étaient chantées par l'évêque sur un ton de récitation très simple, recto tono à peine orné ici ou là.
Au temps de Drogon, la notation musicale n'est pas encore inventée. Les récitatifs du célébrant étant par définition les plus sacrés, leurs textes cantillés sont quasi immuables.
Voici un extrait de la préface de Noël, notée en neumes messins sur quatre lignes rouges, telle qu'on la trouvera en 1348 dans un missel de la cathédrale de Metz (Bibliothèque-Médiathèque de Metz, manuscrit 10, f° 147v) :
Pour avoir composé le ton de la préface, solennel, immémorial, admirable et familier, Mozart, dit-on, aurait donné toute son œuvre.
Marie-Reine Demollière
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Jean-Christophe / Passée des arts (dimanche, 01 septembre 2013 07:57)
Chère Marie-Reine,
Le processus de maturation estivale est donc achevé et je viens de déguster avec beaucoup de bonheur le premier fruit savoureux que vous nous offrez.
Commencer l'aventure d'un blog est toujours quelque chose de très stimulant et, en même temps, d'un peu « angoissant »; on se dit « ai-je été à la hauteur ? », « seront-ils là ? », on doute souvent quand les choses, comme de juste, mettent du temps à s'installer et à trouver leur rythme de croisière. Un blog, du moins lorsqu'il décolle de l'anecdotique, est le temps du souffle long quand les réseaux sociaux, qui ont leur utilité, sont celui de la combustion rapide. Les uns vous titillent, l'autre vous accompagne, la logique n'est pas exactement la même.
Ce premier billet dont la pédagogie souriante ne fait, sans surprise, aucune concession sur la qualité du fond s'inscrit pleinement dans cette logique de compagnonnage puisque vous avez choisi de le consacrer à un ouvrage dont vous ne cessez de dire l'admiration que vous lui portez. J'ai particulièrement apprécié de me promener en votre compagnie dans quelques éléments enluminés qui disent tellement bien la richesse d'inspiration d'un âge qu'on a trop souvent décrit comme obscur et dans lesquels passe quelque chose de ces vies d'autrefois. Bravo aussi pour le choix de l'illustration musicale; je pense que nous ne sommes pas au bout de nos délicieuses surprises de ce point de vue et c'est un motif supplémentaire de nous réjouir de votre initiative.
Longue vie à votre blog. Vous pouvez d'ores et déjà être certaine de ma fidélité.
Je vous embrasse bien affectueusement.
cegm-metz (dimanche, 01 septembre 2013 08:54)
Cher Jean-Christophe,
Sans surprise pour moi, vous êtes le premier à laisser un commentaire sur un premier billet qui arrive, vous le savez, après une assez longue période de réflexion et d'hésitation.
Je vous remercie avec beaucoup d'émotion pour votre appréciation et vos encouragements, surtout qu'ils viennent d'un blogueur émérite et chevronné.
J'ai eu beaucoup de joie à me replonger en profondeur dans ce manuscrit qui m'est cher à plus d'un titre et je suis loin d'en avoir exploré toutes les beautés.
Quant à l'illustration sonore, je suis soulagée qu'elle vous ait plu malgré les aléas d'un enregistrement sur le vif.
Un très grand merci d'accompagner ainsi mes premiers pas. Je sais que je peux compter sur votre fidélité.
Je vous embrasse bien affectueusement aussi.
Cyrille (dimanche, 01 septembre 2013 17:51)
Chère Marie-Reine,
C'est par l'ami Jean-Christophe que j'ai eu, il y a quelques temps maintenant, le bonheur de connaître Scola Metensis via un certain réseau social ; lequel réseau a son intelligente utilité en pareil cas.
Le dimanche, jour hebdomadaire de vos partages sur ledit réseau, était attendu avec une réelle et fidèle curiosité par le béotien que je suis dans ce répertoire que vous proposez.
Avec ce blog qui voit le jour, la pérennité de vos articles seront pour moi une source d'enrichissements encore plus prégnante, car je pourrai consulter dorénavant à loisir vos articles, y revenir et les "relirecouter" avec plaisir. Le côté volatile propre au fameux réseau social étant alors ici évité.
Longue vie à cette belle et sérieuse aventure. Vous pouvez compter sur ma sincère et fidèle présence.
Je vous embrasse bien affectueusement.
cegm-metz (dimanche, 01 septembre 2013 18:29)
Cher Cyrille,
Pour tout vous dire, c'est aussi grâce à notre ami Jean-Christophe et à ses encouragements discrets - vous le connaissez ;) - que j'ai pris le courage de me lancer dans un "Scolablog".
Je vais essayer de maintenir ce rythme d'un partage dominical sauf occasion particulière, bien sûr, et je me réjouis de vous compter parmi les fidèles lecteurs ici.
Un très grand merci pour votre commentaire et moult bises bien affectueuses pour votre vesprée dominicale.
Henri Dété (lundi, 02 septembre 2013 12:24)
Quelle jolie surprise, Marie-Reine, pour cette rentrée (je reviens d'une semaine de merveilleuse musique à Luxeuil, avec Lucien K.) ; la perspective de retrouver ces chroniques Scola, encore plus développées que sur Facebook me réjouit au plus au point. Mais entre le Scolablog, celui de la Passée des Arts, sans oublier l'Audience du Temps, nous restera-t-il encore un peu de temps pour nous voir en vrai ? Ça va devenir problématique non ? ;-)
cegm-metz (lundi, 02 septembre 2013 12:36)
Il ne nous reste plus, Henri, qu'à multiplier les concerts Scola pour avoir plus de chances de nous voir en vrai comme tu dis :-)
Moult mercis, en tous cas, de ta visite et de tes quelques mots. Je devrais pouvoir tenir le rythme de la chronique dominicale et rien me m'oblige à publier à chaque fois des billets aussi denses que ce premier.
Je me réjouis de ta semaine en musique avec Lucien et j'espère que nous aurons le plaisir de le voir revenir au conservatoire cette année.
À très bientôt, ici ou là ;-)
Annick (lundi, 02 septembre 2013 21:51)
Quelle surprise de nous écouter ce soir dans le "ecce sacerdos"!
Bravo pour le blog! je me réjouis de venir y flâner de temps à autre, et d'y apprendre toujours plein de choses passionnantes :-)
A très bientôt pour d'autres aventures...
Nathalie (lundi, 02 septembre 2013 22:48)
Un bel espace, privilégié, "hors temps", de l'eau fraîche ; oui cela prend une autre dimension que sur le réseau :-) merci Marie-Reine !
cegm-metz (lundi, 02 septembre 2013 23:02)
Grand merci, Annick et Nathalie, scolistes fidèles et de longue date, d'avoir déposé quelques mots ici. Vous serez, à coup sûr, très souvent partie prenante de ce blog :-)
Je vous embrasse toutes deux et à tout bientôt.
Jeanne Orient (mardi, 03 septembre 2013 10:40)
Quelles belle terres ici aussi...Quelles belles promesses...Chère Marie-Reine, je me réjouis et je vous embrasse très affectueusement
cegm-metz (mardi, 03 septembre 2013 16:03)
Bienvenue sur ces terres, chère Jeanne, où je me réjouis de vous accueillir.
Merci pour les mots déposés et moult bises affectueuses ici aussi :-)
Michèle Julia (lundi, 09 septembre 2013 15:10)
Après une longue pause estivale, je reprends contact avec le monde du chant grégorien, à mon très modeste niveau...
Cet été a été un peu agité, et celà a été une agréable surprise de découvrir ce blog, qui change de tout ce que l'on peut trouver sur les réseaux sociaux .
A bientôt, et merci pour toutes ces valeurs que tu partages.
Amicalement.
cegm-metz (mardi, 10 septembre 2013 08:00)
Merci à toi, Michèle, d'être passée par ici et de ton appréciation sur ce petit "nouveau" de la rentrée.
Je me réjouis de reprendre bientôt les ateliers grégoriens et de beaux projets devraient bien remplir cette année.
À très bientôt.