Cette fin de semaine dédiée aux promenades patrimoniales est l'occasion pour chacun de visiter des lieux habituellement inaccessibles au public ou de redécouvrir quelque richesse artistique de sa ville ou de sa région.
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À Metz, le chancel de l'église Saint-Pierre-aux-Nonnains, où la Scola Metensis propose depuis 1989 une saison de musique médiévale, est un ensemble sculpté du Haut Moyen Âge parmi les plus remarquables d'Europe. Il est actuellement conservé au Musée de La Cour d'Or où, depuis 1980, une grande salle est spécialement dédiée à sa présentation.
Un chancel est une balustrade formant enclos qui, dans les anciennes églises chrétiennes, séparait le chœur où se tenaient officiants et chantres de la nef où se rassemblaient les fidèles. On peut de nos jours en admirer un bel exemple du XIIe siècle en la basilique Saint-Clément-du-Latran à Rome.
Le premier chancel à Saint-Pierre-aux-Nonnains date du tournant du VIIe siècle, lorsque le bâtiment civil du IVe siècle fut aménagé en église pour des moniales bénédictines, ainsi qu'on a pu le déduire, lors de fouilles, de la présence d'un muret rectiligne sur lequel s'appuyaient ses plaques et piliers. Voici une proposition de reconstitution du chancel à cette époque :
Le chancel fut remanié à l'époque carolingienne puis utilisé en remploi lors de transformations postérieures dans l'église. C'est pourquoi on ne connaît pas la disposition d'origine des treize panneaux et vingt-deux piliers exposés au Musée. Une dizaine de fragments lapidaires attendent encore leur restauration dans les réserves.
Les éléments du chancel ont été découverts lors de travaux à Saint-Pierre-aux-Nonnains en 1897, puis dans les années 1970 et suivantes lors de la restauration de l'édifice.
Le conservateur Gérald Collot, dans sa présentation du chancel en 1980, s'est inspiré de la disposition de celui de Saint-Clément à Rome, suggérant l'espace liturgique destiné aux chantres et aux clercs.
Une présentation renouvelée, visant à mieux mettre en valeur les décors sculptés, est actuellement à l'étude.
Vers 1905, à l'époque où Metz était allemande, le conservateur Johann Baptist Keune avait aligné les éléments du chancel sur des socles dans une salle où était exposé aussi un plafond peint médiéval.
Les décors sculptés sur les panneaux et les piliers puisent à différentes sources iconographiques : les torsades et les entrelacs à tête de serpent rappellent l'art dit « barbare » ou « germanique », les motifs géométriques (rosaces, spirales, grilles, damiers) et végétaux (arbres de vie, pampres et ceps de vigne) sont de tradition antique et paléochrétienne. La plaque la plus célèbre et la plus mystérieuse représenterait un Christ bénissant.
Le Liber de Episcopis Mettensibus de Paul Diacre (vers 783) nous apprend que Chrodegang, évêque de Metz de 742 à 766, qui a introduit le chant et les usages de l'Église de Rome en Gaules à partir de 755, a fait modifier en profondeur les dispositifs liturgiques à la cathédrale de Metz, mais aussi à Saint-Pierre-le-Majeur, la grande église du groupe cathédral, où sont installés autels à baldaquin, ambons et chancels.
Il y avait aussi un chancel en l'église paroissiale Saint-Victor, voisine de la cathédrale, et en la prestigieuse abbaye Saint-Arnoul dont nous connaissons quelques manuscrits de chant.
Les chancels étaient nombreux dans la région messine, tel celui de l'église Saint-Maurice à Cheminot - où Charlemagne avait un palais - dont des fragments sont exposés au Musée de la Cour d'Or de Metz.
S'il ne reste rien du chancel de Saint-Pierre-le-Majeur, cinq fragments de celui de la cathédrale sont visibles à l'entrée de la crypte. Ils ont été découverts en 1914, lors de l'installation du chauffage central dans l'édifice.
Le nouveau dispositif liturgique introduit par Chrodegang apparaît dans les ivoires de la reliure du Sacramentaire de Drogon, réalisé à Metz vers 845, et aussi dans certaines de ses enluminures, telle ce D majuscule qui orne la collecte de la fête de saint Paul. Le chancel, ici simple barrière de pierre, n'y est pas détaillé.
Sur cette plaque d'ivoire conservée au Fitzwilliam Museum de Cambridge, sculptée dans notre région vers 950, on peut voir en bas la schola des chantres en pleine action. Yeux levés, ils chantent à gorge déployée l'introït Ad te levavi, du premier dimanche de l'Avent, dont on peut déchiffrer l'incipit sur le livre ouvert que tient un haut dignitaire.
Le mur fortifié derrière lequel ils se tiennent pourrait représenter un chancel.
Marie-Reine Demollière
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Cyrille (dimanche, 15 septembre 2013 15:54)
Un grand merci pour cette belle découverte richement illustrée et didactiquement présentée. Ne connaissant strictement rien sur le chancel, me voilà instruit de la meilleure des manières.
Je vous embrasse, Marie-Reine. Et vous souhaite un agréable après-midi dominical.
cegm-metz (dimanche, 15 septembre 2013 19:46)
C'est qu'il ne reste plus guère de chancels en place dans les églises, Cyrille. Ils furent remplacés par des jubés, clôtures autrement plus monumentales.
Un grand merci pour votre visite ici et votre commentaire et très belle semaine à vous.
Anne (lundi, 16 septembre 2013 11:10)
Merci, Marie-Reine, pour cette belle synthèse
Vive le chancel messin et ses chantres!
cegm-metz (lundi, 16 septembre 2013 11:22)
C'est moi qui te remercie, Anne, pour ta disponibilité souriante.
À très bientôt le plaisir de chanter ensemble :-)
Jean-Christophe / Passée des arts (jeudi, 26 septembre 2013 18:13)
Chère Marie-Reine,
Comme vous le savez, mes Journées du Patrimoine se sont déroulées dans des circonstances particulières qui n'ont pas laissé beaucoup de place au bâti, la musique l'occupant presque toute.
Je viens, grâce à votre article conçu comme une promenade parfaitement pensée et d'une érudition sans pédanterie, de « rattraper » cette absence de déambulations patrimoniales, tant vous m'avez fait voyager dans le glorieux passé messin puis jusques à Paderborn. Je reste, à ce propos, stupéfait par la qualité de la vidéo de présentation (en dehors de la musique un peu trop New-age) qui donne une nouvelle leçon à tous les musées français, incapables de concevoir ce genre d'annonce à la fois pédagogique et attractive et qui préfèrent visiblement s'en tenir à du clinquant ou du badin sans fond — sait-on jamais, un peu de sérieux pourrait effrayer le bon public. Je pense que vous avez prévu de vous rendre à l'exposition Credo ? Nous raconterez-vous le voyage et vos découvertes ici ? J'espère sincèrement que oui.
Je vous adresse moult bises affectueuses et reconnaissantes.
cegm-metz (samedi, 28 septembre 2013 16:51)
Je réserve pour ce dimanche la troisième recension de vos Journées du Patrimoine, cher Jean-Christophe, et sans doute aussi la quatrième, à paraître peut-être ce même jour :)
Tout comme pour certain Sacramentaire, j'ai beaucoup de tendresse pour le chancel de Saint-Pierre-aux-Nonnains et j'ai hâte de voir bientôt sa nouvelle présentation au public ainsi que les éléments lapidaires qui dorment encore dans les réserves du Musée.
J'ai beaucoup aimé aussi la vidéo de Credo, malgré le sirop de la musique. J'ai un peu hésité à la partager parce qu'elle est en allemand mais les images des objets et des sites sont si belles qu'elles se passent de commentaires. J'espère aller à Paderborn à la Toussaint, avec sans doute un billet "post-expo" ici. J'ai déjà vu le catalogue, magnifique, en deux grands et gros volumes, que je peux consulter à mon aise à la bibliothèque du Musée.
Un grand merci pour votre commentaire et d'affectueuses bises en retour pour vous.