Cette année 2014 marque le douzième centenaire de la mort de Charlemagne, empereur d’Occident. Cependant seule la remarquable exposition à Aix-la-Chapelle - Pouvoir, Art, Trésors - qui vient de s’achever, a commémoré avec un certain faste cet anniversaire. La Scola Metensis ne pouvait laisser passer l’occasion de rappeler les liens étroits qui unissent Metz, les carolingiens et le chant messin.
Cliquez sur les images pour les agrandir.
par la Scola Metensis
enregistrement public du 30 janvier 2005 à l'Arsenal de Metz
extrait du concert commenté Alleluia cum sequentia
Cet alléluia, avec son très long mélisme sur le dernier mot de son verset, est mentionné cum sequentia, avec cinq autres alléluias, dans l'antiphonaire dit du Mont-Blandin de la fin du VIIIe siècle.
De nos jours à Metz, un nom de rue et le grand vitrail du salon d'honneur de la gare continuent seuls d’évoquer son nom.
Il ne subsiste plus aucun monument ancien dans la ville dont le souvenir puisse lui être directement associé, en dehors de quelques pièces prestigieuses mais dont le renom ne sort pas du cercle restreint des spécialistes comme l’exceptionnel tonaire provenant de l’abbaye Saint-Arnoul, classant par ton plus d'un millier de chants de la messe et de l'office et présentant notamment une version des Laudes regiæ, acclamations en l’honneur d’un souverain séjournant à Metz mais dont, comme la statuette équestre du trésor de la cathédrale aujourd’hui conservée au musée du Louvre, on ne sait exactement s’il faut l’attribuer à Charlemagne ou à son petit-fils Charles le Chauve ; comme aussi la chape dite de Charlemagne, magnifique soierie sicilienne de pourpre ornée d'aigles, réalisée au début du XIIIe siècle dans les ateliers de Palerme, longtemps présentée comme d’origine byzantine.
Le jour de Noël de l’an 800, Charles, roi des Francs, devient par son couronnement à Rome, l’empereur Charles le Grand, ressuscitant l’Empire dans la partie occidentale de l’ancien monde romain d’où il avait disparu depuis 476. Plus que l’homme lui-même, c’est sans aucun doute le souverain rétablissant l’empire romain en Occident qui a marqué l’esprit de ses contemporains puis est passé à la postérité.
En France comme en Allemagne, les deux principaux états issus de son vaste empire, sa mémoire a connu des sorts différents.
En Germanie, l’œuvre de Charlemagne est regardée comme le rétablissement du modèle antique. Otton, fils du saxon Henri l’Oiseleur, succède à son père en 936 ; dans un nouveau Saint Empire, qui se pose en continuateur de l’Empire Romain, il réunit le souvenir de Rome et celui de Charlemagne. S’étant fait donner l’onction royale à Aix-la-Chapelle, il se fait, comme Charlemagne, sacrer empereur à Rome en 962.
Dans le Royaume de France, qui se refusait à être Empire puisque précisément l’Empire était « allemand », les juristes proclamaient que le roi de France était empereur en son royaume. Cette obsession d’appartenir à la descendance de Charlemagne se traduit par une récupération symbolique et littéraire aboutissant à la création de toutes pièces d’un Charlemagne français.
Avec la Chanson de Roland, élaborée vers la fin du XIe siècle et largement diffusée par l’abbaye de Saint-Denis dès le XIIe siècle, Charlemagne devient le personnage central d’un vaste ensemble épique (Geste de Charlemagne, cycles de Guillaume d’Orange...).
La volonté de s’approprier le personnage de Charlemagne se manifeste ici clairement : la capitale de l’empereur n’est plus Aix-la-Chapelle mais Paris.
La canonisation de Charlemagne, dont la vie privée assez peu édifiante ne méritait sans doute pas une si grande reconnaissance, fut obtenue par l’empereur Frédéric Barberousse de l’antipape Pascal III le 29 décembre 1165. Elle peut apparaître comme un moyen pour l’empereur germanique de contrarier autant que faire se pouvait la récupération qu’opérait alors, au profit de sa lignée, le roi de France Philippe Auguste.
À Metz, si la date anniversaire de sa mort, le 28 janvier, était l’occasion à l’abbaye Saint-Arnoul d’une commémoration de la Saint Charlemagne, rien de tel n’avait lieu à la cathédrale, l’empereur n’ayant droit qu’à une messe au jour anniversaire de son décès.
À cette occasion, la célébrissime statuette de bronze représentant le souverain à cheval tenant le globe et l’épée est exposée trois jours durant dans la cathédrale de Metz...
... sur un autel de marbre placé au pied des marches du sanctuaire et, comme on peut le lire dans l'Histoire des Evesques de l'Eglise de Metz écrite par Martin Meurisse en 1634, « ceste statuë est accompagnée de quatre cierges qui bruslent nuit & iour. »
Contrairement au Charlemagne historique dont témoigne la statuette de Metz et après les représentations convenues dans l’enluminure des manuscrits, c’est précisément l’image légendaire de l’empereur à la barbe fleurie (à l'abondante barbe blanche) qui sera reprise en France de Louis IX à Napoléon III.
De nos jours la commémoration de Charlemagne connut un moment de gloire avec la mise en place de la Communauté Européenne. En 1965, la dixième exposition du Conseil de l’Europe lui fut entièrement consacrée.
En 2007, la Bibliothèque nationale de France présentait à son tour Trésors carolingiens : livres manuscrits de Charlemagne à Charles le Chauve.
Le personnage de Charlemagne conserve encore un certain public, suffisant en tous cas pour être pris en compte par les médias. Après Charlemagne, le prince à cheval, diffusé en 1993, la chaîne franco-allemande proposait au début de 2013 un long documentaire-fiction, en trois parties, Charlemagne ou le premier empereur de l'Occident médiéval. Avec près d’un million de spectateurs, il constituait alors une sorte de record d’audience pour le genre.
Qu’en est-il à Metz ? Historiquement, Charlemagne n’a jamais été ici que l’affaire des clercs, qu’il s’agisse des chanoines de la cathédrale ou des bénédictins de Saint-Arnoul. L’histoire laïque messine n’a guère conservé de références, pourtant attendues, à Charlemagne. La raison semble en être que les rédacteurs de ces chroniques ignoraient généralement le latin et n’avaient donc pas accès aux études des humanistes rhénans, auteurs d’une abondante historiographie sur Charlemagne. Le seul Charlemagne qu’ils connaissaient était donc celui de la Chanson de Roland et de l’histoire réécrite dans l’entourage du roi de France.
C’est très précisément dans ce contexte d’héritage carolingien que l’empereur d’Occident figure au sommet de l’arc triomphal élevé à Metz en 1603, sur l’itinéraire du cortège royal conduisant Henri IV à la cathédrale, au terme d’un parcours à travers la cité.
Le commentateur du temps rapporte : « Le Roy, ayant mis pied à terre devant le portail de la grande église (…) leva les yeux pour voir la beauté de l’édifice avoué l’un des mieux achevés de l’Europe, mais ils furent retenus par (…) l’arc triomphal. Sur la corniche il y avait un cadre entre deux pilastres soutenant un plafond sur lequel était une statue représentant Charlemagne, souche de laquelle la très illustre maison de Bourbon déduit sa généalogie. »
Trois siècles plus tard, pendant l’Annexion, deux nouvelles représentations de Charlemagne apparaissent dans le paysage messin, la première, assez discrète, prend place dans la reconstruction du portail d’angle de la cathédrale, où elle répond à celle de saint Louis. Cette association dans le décor du portail est curieuse car, si depuis Jeanne d’Arc, les deux personnages sont considérés comme les piliers de la monarchie française, on voit mal que cette référence soit précisément celle mise en œuvre dans une opération archéologique conduite alors même que la cité était depuis 1871 annexée au nouvel empire allemand.
Une seconde figure de Charlemagne forme le sujet du vitrail monumental décorant les salons impériaux de la nouvelle gare de Metz que le souverain allemand avait voulu en 1904, dans un style néo-carolingien.
Au salon d’honneur, c’est, selon les recherches les plus récentes, le Kaiser lui-même qui aurait prêté ses traits à la figure de Charlemagne en majesté, évidemment placée ici dans une double référence au passé carolingien de la cité et à son appartenance désormais au nouveau Reich, dans une confusion voulue et entretenue du mythe et de l’histoire, du passé et du présent.
Pierre-Édouard Wagner
Conservateur en chef du patrimoine (e.r.)
Recherche iconographique : Marie-Reine Demollière
Pierre-Édouard Wagner se joindra à la Scola Metensis le dimanche 5 octobre 2014 pour un concert expliqué avec diaporama, en ouverture de la Saison de Musique ancienne de l'Arsenal de Metz. Un grand merci à lui pour ce billet « d'avant-première ».
À suivre
Écrire commentaire
Jean Villeval (samedi, 21 mai 2022 18:23)
Monsieur Wagner, merci pour vos documents et explications sur cette bonne ville de Metz où j'ai vécu les vingt premières années de ma vie mais dont je ne comprends les richesses qu'un demi-siècle plus tard à travers des personnes comme vous.
Merci