Dans les anciennes liturgies latines, parmi les deux chants entre les lectures – répons-graduel et alléluia – certains ont des particularités tout à fait remarquables.
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Le premier chant après la lecture de l'Ancien Testament est le répons-graduel, ou graduel, dont l'une des origines du nom viendrait du fait qu'il était chanté sur un degré (gradus), une marche de l'ambon en-haut duquel on lisait l'Évangile.
Il est issu d'un très ancien chant responsorial : au soliste les versets d'un psaume et aux fidèles la responsa. Par la suite, le répons-graduel est réservé aux chantres spécialistes de la schola cantorum qui chantaient la première partie, ou corps du répons, reprise après le verset du soliste.
Ecce quam bonum, le répons-graduel du XXIIe dimanche après la Pentecôte est un graduel à double-verset, ce qui est exceptionnel dans le répertoire grégorien.
Ecce quam bonum
répons-graduel à deux versets
Voici le graduel Ecce quam bonum, avec ses deux versets richement vocalisés, noté au folio 122 du Cantatorium conservé à l'abbaye de Saint-Gall en Suisse. C'est le plus ancien manuscrit neumé au monde, réalisé entre 922 et 925.
Le même chant en écriture neumatique messine au folio 66v d'un célèbre manuscrit écrit au Xe siècle et conservé à la Bibliothèque de Laon.
Écoutez le cheminement mélodique, semblable à l'onguent qui descend sur la barbe d'Aaron, de descendit, qui porte la note la plus aiguë de la pièce, au terme le plus grave sur Aaron dont le n final est étiré par le scribe tout le long de la vocalise.
Remarquez que cette même vocalise n'est pas renotée à la toute fin du second verset sur sæculum.
Enfin, voici notre répons-graduel dans un beau manuscrit bénéventain (Italie du Sud).
Ces manuscrits d'Italie du Sud se distinguent par leur graphique, dite bénéventaine ou lombarde, très différente de la caroline utillisée partout depuis la fin du VIIIe siècle. C'est une écriture qui ne se déchiffre pas couramment avec toutes ses ligatures enchevêtrées.
Les graphies neumatiques bénéventaines sont immédiatement reconnaissables à leur style plutôt épais et anguleux. Dans ce Codex 40, la diastématie (représentation spatialisée des sons) est remarquable et permet de retrouver la mélodie avec une précision appréciable dans un contexte sans lignes. Comme on peut le voir sur le mot descendit, le scribe n'a pas hésité, pour écrire les notes aiguës de la vocalise, à empiéter sur le texte de la ligne précédente.
Les liquescences, articulations phonétiques complexes évoquées récemment, sont toutes notées soigneusement, avec des graphies dont les boucles ne manquent pas d'élégance comme sur unguentum et bien d'autres sur ce folio.
Juste avant la lecture de l'Évangile se chante l'alléluia, qui, tout comme le répons-graduel, a ses origines dans la psalmodie responsoriale primitive.
La forme évoluée consiste en l'acclamation Alleluia, entonnée par un préchantre et reprise par la schola, avec une longue vocalise appelée jubilus sur la dernière syllabe a. Puis un soliste chante un verset très orné et la schola reprend l'alléluia avec son jubilus.
La particularité de l'alléluia d'aujourd'hui, Qui timent Dominum, est sa longissima melodia sur est, le dernier mot du verset. Ce genre de très longue vocalise est appelée par les chantres médiévaux milanais, qui la pratiquent beaucoup eux-mêmes, francigena : née chez les Francs, caractéristique de leur style.
Alleluia Qui timent Dominum
du répertoire grégorien
par la Scola Metensis
extrait du disque Chants des Trois Évêchés
On trouve cette longissima melodia dans un nombre très restreint d'alléluias.
L'Antiphonale missarum du Mont-Blandin (VIIIe siècle) donne sans neumes une liste de six alléluias pour lesquels le phénomène est désigné par cum sequentia. Dans les manuscrits notés, seuls quatre alléluias portent le long mélisme final.
Voici une source neumée parmi les plus anciennes (Xe s.) de l'alléluia Qui timent Dominum au folio 46v du graduel-antiphonaire du Mont-Renaud (collection privée), publié dans la Paléographie musicale de Solesmes (tome XVI) :
D'autres longs mélismes sont visibles sur ce folio. Celui de l'Alléluia Qui timent Dominum monte dans la marge à droite.
Des neumes resserrés de la fin du XIe siècle, particuliers à l'aire de Corbie (Nord de la France) au folio 32 du Graduale Corbiense (Paris, BnF, ms lat 18010) :
... et de la belle notation aquitaine de la même époque, à points superposés autour d'une ligne tracée à la pointe sèche, dans un graduel de Narbonne (BnF, ms lat 780, f°113r) :
Voici enfin cet alléluia dans deux manuscrits lorrains pour terminer ce parcours neumatique aux paysages variés : les manuscrits 758 et 759 de la Bibliothèque de Verdun, provenant de l'abbaye Saint-Vanne.
Le folio 188v du manuscrit 758, missel du XIIe siècle, en notation messine sans lignes, dont un détail ouvre ce billet :
... et d'après le manuscrit 759 au f°168v.
Ce missel du XIIIe siècle est en notation messine sur lignes parfaitement déchiffrable.
Marie-Reine Demollière
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Baumgartner-Sendron (dimanche, 20 octobre 2013 11:59)
C'est vraiment superbe. Que ne suis-je encore à Metz. Merci pour cette belle page.
cegm-metz (dimanche, 20 octobre 2013 12:06)
C'est moi qui vous remercie pour la visite ici. Peut-être aurez-vous l'occasion de revenir à Metz au moment d'un concert de la Scola, dont, si j'ai bon souvenir, vous connaissez bien la chanteuse à l'honneur dans ce billet :-) Belle suite à vous.
Anne (dimanche, 17 novembre 2013 22:23)
chère Marie-Reine,
où se trouve ce bel ambon?
merci!
cegm-metz (lundi, 18 novembre 2013 08:21)
Cet ambon se trouve en l'église Santa Maria in Valle Porclaneta à Rosciolo dans les Abruzzes :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Église_Santa_Maria_in_Valle_Porclaneta
J'ai trouvé l'image, avec beaucoup d'autres qu'on peut agrandir d'un clic, ici :
http://www.medioevo.org/artemedievale/pages/abruzzo/Rosciolo.html
Merci, chère Anne, de ta visite tardive et à tout-à-l'heure :-)